50 ans des CREAI : interventions de Ségolène Neuville, Jean-François Bauduret et Denis Piveteau
Ségolène Neuville
Mesdames et Messieurs je suis très heureuse en tant que Secrétaire d’État en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion d’être parmi vous aujourd’hui pour cet anniversaire, ces 50 ans des CREAI.
Vous avez profité de vos 50 ans pour changer de nom, je ne sais pas si on peut toujours faire cela dans la vraie vie mais en tous les cas vous vous appelez maintenant Centres Régionaux d’Etudes, d’Action et d’Information en faveur des personnes en situation de vulnérabilité.
50 ans, finalement c’est un bien bel âge pour un individu dans sa carrière, c’est un âge où l’on est à la fois expérimenté, ou en tout cas on peut l’être, comme vous l’êtes et c’est aussi un âge où on est encore tout à fait prêt à apprendre et à remettre en question des acquis, à prendre des risques et je crois que vous faites aussi cela. C’est aussi tout cela qu’il y a comme signification dans cet anniversaire des 50 ans.
Vous l’avez dit, vous avez repris l’historique, ces CREAI qui au départ étaient les Centres Régionaux pour l’Enfance et l’Adolescence Inadaptée ont été institués en 1964 avec pour rôle initial l’appui à l’État et aux acteurs impliqués dans l’accompagnement de cette enfance inadaptée.
Il existe aujourd’hui 17 CREAI, donc il faut quand même remarquer qu’il y a 17 CREAI pour 23 régions. Vous allez me dire que peut-être dans quelque temps il y aura moins de régions ; néanmoins je crois qu’il est extrêmement important que les CREAI puissent couvrir l’ensemble du territoire parce qu’il faut avouer qu’il y a encore des inégalités, avec certains CREAI qui sont extrêmement actifs et puis d’autres régions qui finalement sont un petit peu délaissées.
Si on veut que les CREAI soient vraiment un bras armé du pouvoir public en matière de conseil, il est important qu’il y ait une couverture territoriale complète.
Vous avez été historiquement extrêmement actifs, vraiment des partenaires précieux, notamment au moment de la réflexion en amont des lois de 1975 et puis au moment de la réforme sur les conditions techniques d’agrément des établissements pour les enfants inadaptés en 1989 et enfin pour la rédaction des premiers guides d’évaluation des services rendus dès 1996 et bien avant la fameuse loi de 2002. Vous avez été aussi pionnier comme auteur des premières études sur la scolarisation des enfants handicapés qui est un sujet qui me tient particulièrement à cœur tout comme Najat VALLAUD-BELKACEM, Ministre de l’Education Nationale. Bien entendu la liste est loin d’être exhaustive et vous la connaissez.
Les CREAI sont là effectivement pour nourrir la réflexion et la décision publique et vous avez aussi défriché un certain nombre de questions qui émergent au fur et à mesure, notamment l’évaluation des situations de handicap psychique et chaque jour durant les visites sur le terrain je prends conscience à quel point la loi de 2005 a eu un impact extrêmement important sur ces situations, puisque finalement il y a eu une véritable mutation avec le passage d’un certain nombre de personnes qui étaient à vie en hôpitaux psychiatriques avec ce que l’on appelait des maladies mentales et qui désormais ont un handicap psychique et sont destinés à être inclus dans la société, soit via des établissements médicaux sociaux soient via un accompagnement médico-social au sein de la société. On voit bien qu’il y a vraiment eu un tournant.
Vous vous êtes penchés aussi sur l’évaluation des situations de polyhandicap qui sont des situations évidemment extrêmement particulières et qui demande un accompagnement tout à fait particulier, des situations de handicap complexes et puis aussi la comparaison entre les schémas sur les personnes handicapées et les personnes âgées à la fois au niveau régional et au niveau national, qui est un sujet sur lequel nous pouvons être, nous en tant que responsables, très régulièrement interpellés d’autant plus que si vous regardez historiquement il y a très souvent eu dissociation au niveau ministériel entre la personne en charge du secteur des personnes âgées et la personne en charge du secteur des personnes handicapées, ne me demandez pas pourquoi, c’est une constatation et bien entendu les acteurs nous posent ces questions des comparaisons et de comment faire pour agir de façon cohérente dans ces deux politiques.
Évidemment comme vous êtes un réseau de professionnels experts et que vous avez des partenaires qui vous font confiance, vous êtes des interlocuteurs privilégiés, notamment pour préparer les schémas régionaux, les schémas départementaux ou pour aussi pour proposer des éléments de prospective concrète pour toujours mieux répondre aux besoins des personnes.
Si aujourd’hui nous faisons le pari des CREAI comme opérateurs d’innovation et d’appui au changement des pratiques et au fonctionnement des établissements, je vous le dis et je l’avais dit dans mon propos liminaire, je pense qu’il y a à harmoniser les fonctionnements. Il faut convenir qu’il y a des écarts entre les régions et possiblement aussi entre les capacités de fournir des prestations d’un CREAI à l’autre. Le récent cahier des charges national qui a été élaboré avec la DGCS et avec la CNSA confirme ce rôle des CREAI dans le domaine du handicap et plus généralement pour l’ensemble des situations de vulnérabilité. Plusieurs missions leur sont ainsi confiées, d’une part la mutualisation des connaissances et des méthodologies, notamment sur les diagnostics territoriaux partagés et la mutualisation des outils développés par les CREAI, la contribution à l’évolution des dispositifs d’accompagnement et l’accompagnement du changement avec notamment un axe sur les formations croisées sanitaires et médico-sociales. C’est un point sur lequel je suis particulièrement vigilante parce qu’effectivement dans le secteur du handicap on est obligé de constater qu’il y a finalement un manque de formation des acteurs du côté du sanitaire d’abord avec effectivement un manque de formation des soignants, toutes catégories professionnelles confondues, sur la réalité du handicap. Je parle en connaissance de cause étant moi-même médecin et n’ayant jamais été moi-même formée au handicap, vous allez me dire c’était il y a longtemps, ça a dû changer, c’est vrai c’était il y a une vingtaine d’années mais cela n’a pas suffisamment changé et je crois qu’il faut aller encore plus loin parce que cela des conséquences sur l’accès aux soins des personnes handicapées. Je peux vous le dire : actuellement en France les soignants ne sont pas du tout formés sur le secteur médico-social, c’est un secteur qu’ils connaissent très mal. À l’inverse les travailleurs sociaux, ceux qui sont dans les établissements médico-sociaux, sont peu formés sur les problèmes sanitaires et sur les établissements sanitaires. Ce manque de formation d’un côté et de l’autre engendre à la fois un manque de coopération, parfois de la méfiance et il est clair que c’est un des problèmes que nous avons à résoudre pour le bien-être des personnes qui sont dans les établissements mais aussi en dehors des établissements parce que l’on voit bien qu’il s’agit d’un élément essentiel. Je pense que vous savez tous que les personnes handicapées en France, dans les statistiques, ont un accès aux soins qui est moins bon que l’ensemble de la population dans tous les domaines, que ce soit le curatif comme le préventif et de surcroît ce manque de lien entre le sanitaire et le médico-social aboutit aussi à créer des ruptures dans les parcours de vie. C’est une des raisons pour lesquelles il peut y avoir aussi la création de situations critiques par manque finalement de discussion et de lien entre les différents types de structures.
Dans les missions qui vous sont confiées, il y a l’appui spécifique à certains territoires et je veux parler ici des Antilles et de la Guyane qui pour le moment sont dépourvus de CREAI mais je ne doute pas que parmi vous il y a des volontaires pour aller s’installer en Guyane et aux Antilles pour aller installer ce type de structure.
Je veux aussi vous dire qu’il y a un moment où il faudra réfléchir à comment fonctionnent les CREAI vis-à-vis des autres centres de ressources puisqu’il y en a d’autres, certains sur des types de handicap bien déterminés, je pense aux centre de ressources autisme mais il y en a d’autres types. Je crois que pour la visibilité de l’ensemble des acteurs sur un territoire, il serait important que les CREAI puissent finalement être un peu le chef de file de l’ensemble des centres ressources ou en tous les cas que tout le monde se retrouve avec chacun sa spécialité. Cela permettrait d’améliorer la visibilité en premier lieu pour l’ensemble des acteurs et donc le nombre de recours des acteurs des établissements médico-sociaux, ils viendraient plus vous chercher parce que vous seriez plus visibles. S’il y a bien quelque chose qui me tient à cœur, c’est que je préfère que ce soit que les CREAI qui conseillent les établissements plutôt que les cabinets de conseil privé et donc c’est extrêmement important que vous soyez visibles et que toutes les structures, qu’elles soient associatives ou publiques, se mettent ensemble pour travailler ensemble.
Je voudrais terminer en vous parlant du rapport « Zéro sans solution » qui a été vraiment un travail majeur effectué durant cette année et qui nous a été remis, à Marisol TOURAINE et à moi-même, au mois de juin 2014. Je voudrais souligner que ce rapport qui a été signé par Denis PIVETEAU est un travail qui a été extrêmement collectif, et des dizaines de personnes ont travaillé sur cette mission. Ce travail est d’une très grande qualité avec une analyse très fine sur les situations complexes et les causes qui aboutissent à ces situations. Les CREAI sont citées dans ce rapport comme l’un des opérateurs possibles à mobiliser pour soutenir l’amélioration des compétences professionnelles, et donc on parle encore de formation, mais aussi comme acteurs possibles pour mener des diagnostics territoriaux permettant d’aboutir à une meilleure intégration à la fois des pratiques et des organisations.
Je vous le dis aujourd’hui, et cela sera dit et répété dans les semaines qui viennent puisqu’arrive à grands pas la Conférence nationale du Handicap, nous entrons désormais dans la phase de mise en œuvre opérationnelle de ce rapport, dans la plus grande discrétion je vous l’accorde, mais c’est l’objectif. Je ne doute pas de l’implication des CREAI pour contribuer à son plein déploiement parce que nous aurons besoin de vous pour justement mettre en place l’ensemble des modifications notamment ce qui concerne les pratiques et les organisations.
Bien sûr je ne peux pas venir ici à vos 50 ans et terminer sans parler de votre association nationale qui évidemment est là pour animer votre réseau, pour le faire monter en compétence et dont je voudrais souligner ici le rôle. Vous l’avez compris je pense dans mon propos, je crois que nous avons encore énormément de choses à faire ensemble. Très sincèrement je pense que dans 50 ans je ne serai plus là, je suis relativement réaliste de ce point de vue-là, la durée de vie en général à ces postes-là est assez courte mais vous, vous serez toujours là et vous pourrez continuer et nous avons encore beaucoup de choses à faire, et vous, vous avez beaucoup de choses à faire. J’espère que tous, dans quelques années, nous pourrons dire ensemble que nous avons participé, collectivement notamment, à la mise en œuvre de ce rapport « Zéro sans solution », à optimiser finalement notre organisation médico-sociale et à faire monter en compétences et en formation l’ensemble des professionnels. Nous l’aurons fait ensemble et c’est ce que j’attends de vous. Je vous remercie.
Jean-François Bauduret
• 1ère intervention
Je vais réagir sur l’excellent exposé de Bénédicte MARABET parce que cette étude n’est pas sans mérite, elle s’est efforcée de décloisonner le champ des bénéficiaires, personnes âgées/personnes handicapées et puis surtout elle s’est effectuée dans une organisation de la gouvernance complètement aberrante. Le Président du Conseil Général est leader sur les schémas départementaux alors que dans le champ du handicap, 70 % des places sont autorisées par le seul Directeur Général de l’ARS. Je sais bien qu’il faut savoir nuancer, qui paye décide, mais quand même une telle aberration en la matière est problématique.
De plus, je fais partie de ceux qui pensent, notamment pour les petits et moyens départements, qu’une planification au niveau du département dans le champ du handicap est trop exiguë et que c’est au niveau régional que cela doit fonctionner. Autrement dit, on est, dans l’articulation entre le suivi pour les personnes handicapées et le suivi dans le sanitaire, dans un « Quasimodo » administratif avec une épaule plus haute autre que l’autre. L’articulation entre le schéma régional et le schéma départemental est un véritable chef-d’œuvre d’hypocrisie de rédaction administrative. Les schémas départementaux tiennent compte des schémas régionaux qui eux-mêmes prennent en compte les schémas départementaux. Madame MARABET, vous avez très justement souligné le fait qu’il existe une diachronie entre les temps d’élaboration des schémas régionaux sur 5 ans et les schémas départementaux qui sont également sur 5 ans mais qui ne coïncident pas sur les mêmes phases, et parfois même ils sont inexistants.
En plus, la puissance publique n’a pas tout à fait la légitimité à harmoniser les méthodologies des schémas dès lors que la loi RAFFARIN de 2004 a quand même confié le leadership de la planification départementale au Président du Conseil Général. On voit bien que dans cette affaire, on est quand même dans une grande difficulté. Parce que c’est bien d’avoir travaillé sur l’articulation personnes âgées/personnes handicapées, d’autant qu’il y a cette frontière avec les handicapés vieillissants, mais on voit aussi que l’organisation de la planification en gérontologie est plutôt infra départementale avec un maillage de proximité immédiate alors que, très souvent ou le plus souvent, la planification dans le champ du handicap est plutôt supra départementale. Tout cela pour dire, et vous l’aviez compris, que je considère que le Conseil Général n’a aucune légitimité pour planifier dans le champ du handicap et que je milite, à la retraite donc sans aucune efficacité, pour une régionalisation de l’action sociale et médico-sociale.
Je voulais aussi dire qu’il y a peut-être une chose que vous avez abordé, je ne sais pas, mais en tout cas que vous n’avez pas exposé, c’est l’organisation de la séquence entre les schémas qui sont censés définir les besoins non satisfaits, les appels à projets qui doivent en découler d’une certaine manière et, une fois les appels à projets faits et renseignés, les PRIAC, puisqu’il faut bien distinguer la technique de planification : quels sont les besoins qui continuent à être satisfaits soit par création nette de places, soit par reconversion et puis comment on programme au regard des dotations financières allouées les créations de places et financées sur les prochains exercices. Ce que je veux dire, c’est qu’une étude de la planification, outre les incohérences que je viens d’évoquer, ne peut pas se passer d’une étude du séquencement entre planification, appels à projets, programmation. C’est une première observation.
La seconde observation, et là je fais allusion à tout ce qui a été dit en début de réunion : Les 5 dates dans l’histoire des CREAI, c’est l’arrêté du 22 janvier 1964, la note de service interministérielle du 13 janvier 1984. C’est une note de service qui élargit les compétences des CREAI qui sont définies par arrêté. Sans vouloir être un juriste complètement obtus, c’est toujours étonnant de voir qu’une simple circulaire accroît le choix du champ de compétence d’un arrêté qui est toujours en vigueur, qui n’a jamais été modifié. Il y a des tas de textes qui ont été modifiés au titre de la simplification administrative, celui-là est toujours en vigueur et il ne s’occupe que des handicapés en France. Le rapport de l’IGAS de décembre 1981 que personnellement je trouve décevant, ambigu et qui n’a pas aidé les pouvoirs publics à définir une véritable politique de partenariat avec les CREAI et avant la création de l’ANCREAI en 1989. 1989, c’est l’année des décrets rénovant les annexes XXIV et vous avez dit les uns et les autres que les CREAI s’étaient lancées sur un accompagnement des établissements et services, pour une mise en conformité, un rapprochement avec cette nouvelle réglementation, qui pour être souple et intelligente, a nécessité quand même un certain nombre de mutations. Là, la balle est dans le camp des pouvoirs publics. Les pouvoirs publics, à mon avis, auraient dû beaucoup plus insister et donner plus largement, plus nettement une mission aux CREAI sur ce point tout à fait décisif qui parfois était une véritable révolution dans les pratiques quotidiennes des professionnels sociaux et médico-sociaux, dans les IME, les SESSAD, etc. Cela a été une première occasion ratée.
Je ne parlerai pas de la circulaire du 17 mars 2011 dans la mesure où elle a eu certes l’intelligence de subdéléguer aux ARS les crédits que l’État allouait jusque-là aux CREAI mais comme ils ont été très sensiblement diminués, cela a posé quand même un problème, mais je veux quand même conclure que le projet d’instruction qu’évoquait Caroline LEFEBVRE tout à l’heure, du 16 mai 2014, sur le cahier des charges, nous redonne un petit peu d’espoir sur la façon dont on peut évoluer.
Je voudrais insister sur quelques points très rapidement. Premièrement, vous avez eu raison de garder l’acronyme CREAI et c’est malin d’avoir trouvé Centres Régionaux d’Etude d’Actions et d’Informations, le « I » d’information remplaçant infantile en faveur des personnes en situation de vulnérabilité. J’aime beaucoup le concept de personnes en situation de vulnérabilité et de ce point de vue là je vous renvoie au dernier ouvrage de Jean Yves BARREYRE “Eloge de l’insuffisance ». Ce livre est tout à fait déterminant pour qualifier justement ces populations en situation de vulnérabilité. Alors cela veut dire qu’il y a un choix à faire, à savoir est-ce que les CREAI vont rester sur le champ personnes âgées/personnes handicapées, personnes handicapées d’abord parce que c’est vrai que c’est leur histoire mais aussi personnes âgées, c’est-à-dire en fait l’ensemble des personnes en perte d’autonomie ou est-ce qu’on va rentrer aussi dans la protection de l’enfance d’une part et dans la lutte contre l’exclusion d’autre part. Quand on regarde les études et recherches qui ont été conduites par certains CREAI, on s’aperçoit que bons nombres d’entre elles ont été faites dans le champ de l’ASE, quand on sait en plus les articulations qu’il doit exister entre l’aide sociale à l’enfance et le médico-social, sans parler de la psychiatrie, c’est quand même quelque chose d’important. Là il y a un enjeu qui est : est-ce que les CREAI vont embrasser la totalité des 5 populations en situation de vulnérabilité, on pourrait même ajouter les personnes en situation d’addictions dès lors qu’elles sont dans le périmètre de la loi de 2002, en même temps la barque est lourde et les moyens sont limités, même si des efforts seront, je le souhaite, fait. C’est important et cela met en jeu d’autres décideurs puisque sur l’Aide sociale enfance, c’est avec les Conseils Généraux qu’il faut travailler et que pour l’exclusion c’est avec les DRJSCS qu’il faut travailler. On voit bien qu’à ce moment-là vous avez 3 interlocuteurs décideurs, les Conseils Généraux, les ARS est et les services de l’État qui restent au niveau régional.
Sur les missions des CREAI, je crois qu’elles ont été abordées, je n’y reviens pas. Simplement j’insisterai sur ces 3 fonctions qui sont :
– La fonction d’observation et la fonction d’évaluation des besoins, de suivi de l’évolution des pratiques, de proposition d’évolutions.
– La fonction de conseil aux acteurs et aux décideurs et d’aide méthodologique à la mise en œuvre des divers outils que sont par exemple les projets établissement, l’application de droits des usagers et l’aide aux équipes pluridisciplinaires des MDPH, notamment parfois pour formaliser des plans d’aide en matière d’handicapés psychiques, il faut très souvent avoir l’appui de centres de ressources. Peut-être que les CREAI peuvent-ils inciter à créer d’autres centres de ressources que l’UEROS pour les traumas crâniens ou les CRA pour les autistes.
– Les études et recherches thématiques.
On voit bien que ces 3 fonctions, observation, évaluation des besoins, conseil aux acteurs et aux décideurs, évaluation et recherche, c’est-à-dire des recherches actions que vous conduisez, des analyses aussi de retour d’expérience, elles se croisent avec deux catégories d’interlocuteur, d’une part les organismes gestionnaires que vous aidez et à ce moment-là en général vous vous faites rémunérer vos prestations et d’autres par les décideurs et leurs dispositifs pour inclure par exemple les MDPH au niveau local. Au niveau national, je me permets d’insister sur le fait que la CNSA est votre interlocuteur naturel sur les problèmes PA/PH mais qu’il y a deux autres agences qui me paraissent tout aussi essentielles et avec lesquelles l’ANCREAI devrait, à mon avis, travailler, mais pour autant qu’il y ait une main tendue des deux côtés, c’est d’un côté l’ANAP : Je fais partie du conseil scientifique de l’ANAP et je considère que nous avons à notre disposition la seule agence nationale qui est décloisonnée sanitaire et médico-sociale et qu’il faut savoir en profiter pour travailler sur des plans d’action territorialisés. Et puis bien évidemment l’ANESM ce qui est d’ailleurs le cas puisque ponctuellement vous avez déjà passé des accords avec l’ANEMS pour mettre en œuvre des actions pour booster l’évaluation interne et même les méthodologies d’évaluation externe.
Tout cela pour dire que vos missions doivent être pensées en réseau avec les ORS. Et là aussi il ne faut pas faire preuve d’une rigidité trop importante. Par exemple vous trouverez telle ORS qui se passionne sur les personnes âgées en perte d’autonomie, est-ce nécessaire que le CREAI face double emploi dans cette hypothèse-là. D’autres ORS se fichent totalement du médico-social et puis tous les centres de ressources, les CRA les UEROS, les centres de ressources handicap rare et puis les dispositifs de proximité MDPH, CLIC, MAIA. En attendant, prions le Seigneur, les maisons départementales pour l’autonomie mais autrement que par une simple expérimentation, pour complètement fusionner les dispositifs de ressources pour les personnes en perte d’autonomie quel que soit l’âge, cela veut dire, et ce n’est pas mince, inclure dans les équipes pluridisciplinaires les équipes départementales qui attribuent plus ou moins bien les plans d’aide et l’APA sous l’égide directe des Présidents de Conseils Généraux. Enlever à un Président de Conseil Général une prérogative qui lui est exclusive, ce n’est pas forcément, simple sauf évidemment si l’on supprime le département.
Je conclus que si vous n’obtenez pas la base légale dans un support législatif pour la reconnaissance des CREAI, vous avez la possibilité, à mon sens, de faire reconnaître à la fois les CREAI et l’ANCREAI en application de l’article L311-1 du Code de l’action sociale des familles (pas l’article L312-1), c’est-à-dire celui qui définit l’action sociale, les missions de l’action sociale, et on voit très bien poindre un décret en disant « relève de tout ou partie des missions énumérées à l’article… les centres dénommés… » ; vous voyez que je le vois assez bien, ce décret, on ne se refait pas. S’il n’y a pas de phase légale, on peut très bien, par décret simple, codifier, définir et également dessiner les modalités, non pas de tarification mais de financement à la fois de l’ANCREAI et des CREAI ; et à cet égard je pense que si la section V de la CNSA doit être mise à contribution, je ne suis pas persuadé que c’est la seule contribution qui serait féconde dans le financement de l’ANCREAI et des CREAI, parce que les autres agences ont peut-être aussi des contributions à apporter. Je n’ose plus demander des contributions directes sur le budget de l’État parce que ce n’est absolument plus tendance.
Il faudrait :
– Publier une circulaire d’application de la contribution du réseau des CREAI à l’application des politiques nationales et locales en direction des populations qui ont été choisies, est-ce que c’est 2, 3 ou 5 ?
– Légitimer l’action de l’ANCREAI au moyen d’une convention-cadre articulée avec des conventions plus thématiques avec les 3 agences CNSA, ANAP et ANESM.
– Consolider les partenariats régionaux et notamment le partenariat CREAI/ARS avec des conventions déconcentrées sur le terrain.
J’incline à penser – je parle à titre personnel, je n’ai aucune responsabilité dans la politique conduite en la matière – qu’il ne serait pas hors de portée d’arriver à donner enfin une identité réglementaire clarifiée de l’ANCREAI et des CREAI tout en restant souple, parce que je me méfie des textes qui sont trop rigides et qui stérilisent après l’innovation des acteurs, assortis de dispositifs conventionnels à plusieurs étages tant au niveau national, régional et local. Merci.
2ième intervention
(sur question quant à la réforme des collectivités territoriales et les CREAI)
Jean-François BAUDURET : Je vais sans doute sortir un article dans les ASH qui va s’appeler « la régionalisation de l’action sociale et médico-sociale : éloge d’une réforme qui ne se fera pas ». Pourquoi elle ne se fera pas, nous le voyons sans peine mais pourquoi faudrait-il la faire ? Il faudrait la faire parce que les Conseils Généraux travaillent de façon très hétérogène sur les différents segments de leur champ de compétence et que par ailleurs ce travail est quand même très lié aussi au potentiel fiscal de ces Conseils Généraux, s’ils sont riches ou pauvres, ils n’ont pas le même type de politique, quelle que soit leur bonne volonté. L’argument qui serait rétorqué, serait de dire que nous supprimons, surtout avec les méga régions, la proximité. Non, l’idée est d’avoir l’équivalent des délégations territoriales des ARS, c’est-à-dire avoir en fait des agences départementales qui ne seraient autres que les services des Conseils Généraux mais qui relèveraient désormais du Président du Conseil Régional ; ce que je veux dire, c’est que nous pouvons arriver à régionaliser. Le fait d’avoir une organisation régionale et régionalisée des 2 côtés, du côté sanitaire comme du côté social et médico-social, inutile de vous dire que j’y vois pas mal d’avantages et j’y vois même la possibilité du retour de ce qui a été enlevé, le schéma commun arrêté par le Directeur Général de l’ARS le Président du Conseil Régional, un schéma co-arrêté puisque je rappelle que la loi 2002.2 avait prévu des schémas co-arrêtés avant que la loi Raffarin ait donné le primat au Président du Conseil Général. Je crois que c’est possible et en plus c’est cohérent par le fait que ce sont les régions qui organisent les formations en matière de travail social, c’est le Président du Conseil Régional qui définit les besoins en matière de formation de travail social alors qu’aujourd’hui il n’a aucune compétence sur le sujet, il ne demande pas l’avis à l’État, en tout cas dans la loi, j’espère qu’il a l’intelligence de le faire dans les faits, parce que la loi ne l’a pas prévu.
La simplification, la régionalisation serait une chose bonne et en plus je soutiens que nous pouvons modifier, il y aura peut-être des problèmes d’adaptation de statut, de personnels de la fonction publique territoriale parce qu’ils ne sont pas tout à fait pareils, les primes ne sont pas identiques selon les départements, etc, il y a des problèmes d’organisation certes mais c’est de la cuisine interne. S’il y a une volonté politique de réorganiser le dispositif, et je ne veux pas influencer les réflexions de l’ANCREAI mais après tout vous êtes des instances régionales, il y a une possibilité à mon avis de monter quelque chose qui tient la route d’autant que je le rappelle les autorisations et les PRIAC sont aussi régionaux donc il y a pas mal d’instances qui sont régionales et une départementalisation qui n’est pas toujours fondée. Quand nous voyons par exemple ce que les bonnes ARS sont capables de faire en matière de proximité immédiate avec les hôpitaux locaux, avec l’articulation de la médecine de ville, etc. nous voyons bien que dès lors que la délégation territoriale de l’ARS s’investit dans la proximité immédiate, l’éloignement du centre de décision n’est pas nécessairement quelque chose de négatif.
3ième intervention
(sur question quant à la collaboration du réseau des CREAI avec les agences)
J’ai plus de questions à poser que de réponse à apporter, en fait j’ai une observation et 3 questions.
La première observation est que vous avez compris que ce matin je jouais parfois le rôle du ronchon et je ne peux que regretter le fait que les pouvoirs publics aient abandonné l’étude qui avait été demandée sur les caractéristiques des personnes qui étaient orientées qui en MAS, qui en FAM, qui en foyer de vie. Il est entendu que l’on dit toujours qu’il y a des populations en MAS et en FAM sans jamais évoquer d’ailleurs les foyers de vie – je parle des foyers de vie hors section annexe d’ESAT – simplement pour regretter que le CREAI Pays de Loire s’était lancé dans une opération tout à fait passionnante que l’administration centrale a laissé tomber et a même laissé des dettes puisque finalement vous n’avez pas été rémunérés sur l’ensemble du dispositif. Il reste que nous manquons toujours aujourd’hui, pour les équipes pluridisciplinaires des MDPH, de référentiels de bonnes orientations dans qui est en MAS, qui est en FAM, qui est en foyer de vie, étant entendu que nous ne pourrons jamais empêcher le fait que certaines orientations auront lieu aussi en fonction des places libres, c’est évident. Il serait peut-être utile de reprendre ce dispositif. Là il ne s’agit pas de l’évaluation de la qualité, il s’agit de l’évaluation des caractéristiques des personnes qui sont orientées dans telle ou telle direction.
L’intervention passionnante d’Eliane CORBET, qui montre que les CREAI sortent du champ du handicap pour aller aussi sur l’aide sociale enfance, me fait penser à un autre sujet qui me paraît particulièrement important et qu’à la suite d’autres personnes Jean-Yves BARREYRE appelle les incasables, il s’agit finalement de l’articulation entre ITEP SESSAD, aide sociale à l’enfance, pédopsychiatrie, établissements de la protection judiciaire de la jeunesse. Je sais qu’il y a une expérimentation qui est baptisée « Dispositif ITEP », c’est une bonne chose, il y aura des avancées, mais il est clair que si l’expérimentation n’intègre pas le volet de la pédopsychiatrie, n’est-ce pas Bernard DURAND, nous allons rater quelque chose. La question que je pose c’est : est-ce que l’AIRE, l’association qui gère les ITEP et qui est censée conduire cette opération, et/ou les pouvoirs publics ont sollicité les CREAI pour mettre la main à la pâte à ce dispositif qui est essentiel et extrêmement délicat à conduire ? Il est d’autant plus délicat que s’il y a 4 pôles à articuler, il y a 3 décideurs différents, l’Etat au titre de la PJJ, le DGARS au titre du médico-social et de la pédopsychiatrie et les Conseils Généraux.
Pour ma troisième réflexion et la deuxième question, j’ai écouté attentivement le dispositif Périclès et je voudrais rappeler qu’avant la création de l’ANESM il existait un dispositif, un peu friable juridiquement, qui était le Groupe National de l’Evaluation Sociale et Médico-sociale qui avait produit un guide méthodologique de l’évaluation interne. Lequel guide a été validé a posteriori par l’ANESM. Est-ce que les travaux des CREAI, et notamment la démarche que vous nous avez exposée tous les deux et l’utilisation du logiciel Périclès, est ou n’est pas intégré au dispositif ?
Et puis le troisième élément, la dernière intervention liée à tout ce qui est aide à la contractualisation, au caractère extrêmement précis voire pointilliste, du cahier des charges qui s’impose aux organismes qui font l’évaluation externe pour éviter les marchands du temple et pour avoir de véritables professionnels de l’évaluation externe. Vous savez d’ailleurs que certaines personnes passent à travers du filet d’où le fait d’ailleurs que j’ai été sensible que dans vos demi-journées de formation vous expliquiez que le choix du bon opérateur est quelque chose de tout à fait essentiel. Je voudrais insister sur les RBPP, les référentiels de bonne pratique professionnelle. L’ANESM en a édité énormément des transversales et il y a énormément de trous sur certaines catégories d’établissements et services. Je pense notamment à 2 d’entre eux qui sont d’une part tout ce qui est IME, IMPro où il n’y a pas de référentiel aujourd’hui. Il y en a sur les SESSAD, il y a des référentiels transversaux, mais il n’y en a pas qui soient spécifiques à ce secteur qui n’est quand même pas le plus petit dans le champ du handicap. Il en est de même, et une fois de plus, sur les foyers de vie. On a donc fait des référentiels de bonne pratique qui viennent de sortir sur les MAS et les FAM, mais pas sur les foyers de vie. Par ailleurs, la loi prévoit que lorsque, tant pour l’évaluation interne qu’externe, il n’existe pas de RBPP, l’ANESM peut valider des référentiels qui auraient été forgés par les établissements eux-mêmes. J’attire l’attention sur le fait qu’une lecture rigoureuse de la loi montre que le dispositif ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas de RBPP. D’ailleurs le dispositif est verrouillé, il ne peut pas avancer. Est-ce que dans votre démarche d’aide à la contractualisation sur l’évaluation externe, vous intégrez auprès des établissements qui ne disposent pas de RBPP des formations ou une incitation à en forger eux-mêmes ?
Denis Piveteau
Les applaudissements sont éloquents, je n’ai pas grand-chose à ajouter à tout ce que vous venez de dire, cela ne conduirait que fondamentalement à renforcer encore, appuyer et vous remerciez du même coup de la qualité de ce que vous venez de nous balayer et nous brosser à la fois dans une logique d’analyse mais aussi d’appui aux acteurs dans un sens qui est extrêmement convergent. Je vais peut-être ajouter deux éléments. Vous aviez un espèce d’hexagone, il était assez symptomatique de ce que vous venez de nous dire, Madame CHOHIN et Madame FIACRE, parce que nous voyons déjà que c’est fondamentalement cela la réalité à laquelle nous sommes tous confrontés. La question de l’accompagnement des personnes, autrefois nous aurions dit les enjeux du travail social, c’est aussi une question d’évolution, c’est de l’intrication très complexe, un cumul de difficultés. Il faut porter lourd et pas simplement pour les situations incasables, cela c’est du symptôme qui parle et quelque part merci à eux ils ont bousculé une prise de conscience. Il y a tous ceux qui ne parlent pas et dans d’autres champs du handicap ou d’autres champs de la vulnérabilité. Il faut porter beaucoup plus lourd et nous ne pouvons pas porter lourd tout seul. Plus profondément que cela, nous ne pouvons pas porter lourd seul parce qu’il ne faut plus porter lourd tout seul. Il faut prendre conscience de ce que la perspective qui consisterait à dire : on va mettre en place des institutions capables de répondre assez à quoi les institutions actuelles ne sont pas capables de répondre, ce serait la marche à l’envers, à rebours, ce serait la ré institutionnalisation. Porter lourd tout seul pour des situations de handicap psychique, par exemple, nous savons ce que cela peut vouloir dire, c’est précisément ce que progressivement nous nous efforçons de déconstruire, l’ouverture vers la vie ordinaire, le milieu de vie ordinaire, le milieu ouvert et le fait que les réponses doivent être incrémentales en partant du besoin, ne jamais aller au-delà de ce qui est nécessaire pour répondre à un besoin et toujours garder le lien avec l’environnement de vie ordinaire, tout cela c’est un combat que nous sommes en train de gagner.
Le point sur lequel nous ne sommes certainement pas en train de gagner, c’est que ce combat-là implique nécessairement une prise de risque en termes de rupture. C’est-à-dire que le risque de rupture de parcours il est intrinsèque au projet ; parce que scolariser c’est très bien mais alors quand on est scolarisé comme jeune enfant, il va se poser des questions de modalité de scolarisation à l’adolescence et puis peut-être d’autres choses à l’âge adulte. Nous nous exposons à des situations de rupture. Nous sommes des chercheurs engagés, il y a toujours un petit peu de militance dans le travail que nous faisons même avec la plus grande rigueur en termes d’analyse. Dans notre projet collectif, il y a bien cette idée de resocialiser tout le monde, chacun a sa place mais si chacun a sa place nous nous créons forcément des risques de rupture et nous n’avons au fond pas su gérer, anticiper, les risques que nous faisions naître en construisant des logiques d’insertion dans le milieu ordinaire. Ce qui veut dire que comme cette difficulté fait partie du projet, il va falloir la saisir à bras-le-corps.
Vous avez déjà donné toutes les têtes de chapitre en termes de pluridisciplinarité, inter ou pluri institutionnalité. Pascal THEBAULT disait tout à l’heure que ce sont des mots, en même temps nous nous rendons bien compte que c’est par-là que les choses passent avec, je dirais, une approche dans laquelle la qualité du travail doit s’apprécier non pas simplement comme bien faire le travail, ce qui est aujourd’hui le paradigme de l’évaluation interne et externe, mais faire le bon travail au bon moment. Faire le bon travail au bon moment, cela peut vouloir dire comment est-ce que je prouve que le travail que je fais est utile aux autres ? Et en se demandant comment est-ce que le travail que je fais n’est pas simplement un bon travail par rapport à mes référentiels professionnels, à moi mais comment suis-je utile aux autres. Nous retombons du coup sur : qu’elle est la qualité de la réponse globale pour la personne. Se demander comment c’est utile aux autres, c’est comment c’est utile aux autres pour que collectivement nous prenions en charge correctement la personne. Je pense que cela fait partie des pistes des futures évaluations internes et externes, des enjeux de formation. Comment est-ce que je me forme pour être en capacité non seulement de bien faire ce que je fais mais d’entrer en relation avec les autres, de comprendre comment les autres travaillent, d’être un interlocuteur, un appui aux autres. Est-ce que la qualité de mes processus sont des processus qui sont lisibles pour les autres, pertinents et réceptifs à leurs propres attentes. C’est cette capacité à intégrer une dimension institutionnelle dans un ensemble plus vaste.
Il y a une deuxième chose sur laquelle il va sûrement falloir travailler, là c’est encore une question que j’ajoute à toutes celles que vous avez posées, c’est du coup quand nous sommes dans des logiques plus fragmentées, plus segmentées de parcours parce que nous les avons voulues, comment pouvons-nous penser en permanence pour chaque personne le souhaitable et le possible ? Quand vous avez une place, le souhaitable, c’est de trouver la place, une fois que la place existe la personne attend, quand elle a fini d’attendre elle y rentre, le souhaitable et le possible se superposent. Dans des logiques construites autour d’un parcours de réponses modulaires, de capacité à ajuster, à s’adapter, à en faire ni trop ni trop peu, il faut avoir une vision en permanence de ce qui est souhaitable. Il faut des méthodologies d’évaluation des besoins sur le souhaitable, vraiment déconnectées des réalités objectives du terrain qui sont ce qu’elles sont. Cela ne veut pas dire que nous les abandonnons , mais il faut dans un premier temps savoir les poser à côté et pouvoir penser au besoin, un besoin d’ailleurs qui n’est pas figé et qui vit avec la personne et il faut aussi se donner les méthodologies pour construire le possible ; cet écart, cette conceptualisation à créer entre le souhaitable et le possible et les méthodologies qui vont de l’un à l’autre et qui permettent de mettre un système sous tension. Jean-François BAUDURET se souvient que quand nous étions ensemble à la CNSA, et Xavier DUPONT continu sur ce sillage, nous avions mis en place cette idée qu’au niveau de l’évaluation des besoins sur les territoires il fallait que nous soyons capables d’identifier à la fois le souhaitable et le possible, c’était une réflexion très profonde. On nous avait dit alors que c’était une hérésie parce que nous allions mettre comme cela en évidence tout le gap entre le souhaitable et le possible ; sauf que c’était précisément ce que nous cherchions à faire, ceux qui redoutaient cette démarche avaient parfaitement compris son intention. Tout n’est pas possible tout de suite, il faut suffisamment de maturité dans le débat public pour comprendre que des priorités sont nécessaires mais ce n’est pas parce que tout n’est pas possible tout de suite que nous perdons de vue l’écart entre le possible et le souhaitable, cela fait intrinsèquement partie des transformations.
Le dernier point, et il y a là aussi une place importante pour votre réseau, c’est que je crois que tous les modèles de transformation administrative, d’innovation, d’amélioration des pratiques, de la qualité des réponses dans ce qu’elles ont de global bien plus qu’une place, un service, une continuité de service, cela ne se conduit pas d’en haut. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas besoin d’un lieu central mais la société ne se change pas par décret, mais elle n’évolue pas non plus par consigne. Au fond pardon de la comparaison, j’aime beaucoup le bon café, il y a des cafetières à piston et il y a des caractères à l’italienne, toutes les deux font du bon café mais je pense qu’aujourd’hui il faut abandonner la logique de la cafetière à piston dans laquelle le piston descend et fait perfuser le café à travers de l’eau immobile, je crois plus à la cafetière à l’italienne, qui n’est pas très connue en France, dans laquelle on fait bouillir l’eau et c’est l’eau qui monte et qui percole le filtre par en bas. Je suis pour la réforme par la cafetière à l’italienne ! Je crois que c’est très important. Aujourd’hui c’est une illusion de croire que nous pouvons animer le changement de manière descendante, il faut un lieu central où on donne le cap, ou on garde la cohérence, un lieu central où on est en capacité de comparer ce qui se fait, de relancer, d’animer mais très fondamentalement autant il faut ce lieu de partage d’expertise, de méthodologie, de cadrage, autant les nouvelles réponses ce n’est pas qu’elles naîtraient du local parce que le local se serait mieux que le national, c’est simplement qu’elles ne peuvent naître, du fait de la complexité même des situations que nous avons à prendre en charge, que localement compte tenu de ces enjeux d’articulation. Nous avons à transformer très profondément, je parle des pouvoirs publics et de ceux qui les accompagnent dans leur expertise, les méthodologies de transformation, de cheminement des bonnes idées au sein du territoire tout entier en métropole et en outre-mer. Votre deuxième demi-siècle ne pourra pas ressembler au premier, ce n’est pas possible parce que les pouvoirs publics, je crois, aujourd’hui ont besoin d’appui pour des transformations qui se font en réseau et qui ne peuvent se faire qu’en s’appuyant sur un réseau et en allant chercher dans la maille du réseau ce qui est le lieu de surgissement et de capacité d’innovation. Il faut que vous vous mettiez en capacité de mobiliser cette fonction d’innovation en réseau parce que je pense qu’elle est constitutive de ce qui se joue aujourd’hui dans l’accompagnement et dans le travail social. Merci.