Monsieur le Président de la République,
Je m’appelle Nathan Basuyau, j’ai 19 ans et poursuis actuellement des études de droit à l’université de Bordeaux. Je suis porteur depuis ma naissance d’une Infirmité Motrice Cérébrale (IMC), m’obligeant à me déplacer en fauteuil électrique.
Le 27 février prochain, le Parlement sera amené à ratifier l’ordonnance prise par le gouvernement le 26 septembre 2014 sur l’accessibilité, explicitant les normes de la loi du 11 février 2005, au terme de laquelle les bâtiments publics et privés, les transports en communs et les logements d’habitation devront être totalement accessibles aux personnes à mobilité réduite.
Or, force est de constater que malgré les divers progrès en la matière, le résultat est encore loin d’être atteint. Il est vrai que depuis une dizaine d’années, les collectivités territoriales compétentes se sont efforcées de moderniser les installations publiques, les transports en commun et les logements d’habitation, permettant ainsi aux personnes à mobilité réduite de se déplacer plus facilement.
Cela nous a facilité la vie sur le plan ergonomique. Mais, et de manière assez ironique, en osant sortir, nous nous sommes rendu compte que de nombreux bâtiments (publics ou non) étaient inaccessibles. Nous pouvons donc nous rendre devant ces bâtiments, mais nous ne pouvons y rentrer ce qui est assez burlesque il faut l’avouer. Je n’ose même plus compter les fois où je n’ai pas pu entrer dans un musée par exemple, à cause de nombreuses marches à l’entrée. Ni les fois où je n’ai pas pu rejoindre des amis un vendredi soir après les cours, là encore à cause de marches à l’entrée d’un café par exemple. Je vous assure que la moindre sortie nécessite un véritable travail préparatoire en amont : savoir si le bâtiment où je souhaite aller sera accessible ou non, puis trouver l’itinéraire adéquat. Si le bâtiment n’est pas accessible, je dois prendre un fauteuil roulant manuel et demander à quelqu’un de m’accompagner : je ne suis donc plus autonome mais au contraire entièrement dépendant de ma tierce personne et de sa propre force physique.
En 2012 lors de votre campagne électorale, vous avez à plusieurs reprises, défendu l’idée fondamentale d’une certaine « justice sociale » et de la promotion d’une « solidarité nationale». Mais, Monsieur le Président, comment une société peut-elle promouvoir l’entraide et le partage, si, par ailleurs, elle reste « fermée » à une partie de la population ? Et c’est là tout le paradoxe sur lequel je voudrais attirer votre attention.
Avec cette ordonnance, l’échéance pour rendre accessible la société sera reportée en 2025 soit vingt ans après le vote et l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005.
Monsieur le Président, j’ai 19 ans et suis en pleine construction de mon avenir personnel et professionnel : devrais-je attendre d’avoir 30 ans pour profiter d’une société qui serait enfin « accessible » et mener ainsi une vie « normale » ?
Accorder un délai supplémentaire ne ferait que déplacer le problème au mieux le cacher, mais certainement pas le traiter. Pire même, une telle ordonnance risquerait de briser l’élan qui tendait à améliorer l’accessibilité plongeant à nouveau les personnes à mobilité réduite dans l’isolement et l’exclusion.
Certes, les problèmes économiques que traverse notre pays sont importants, mais, une telle question relève, à mon sens, d’avantage de choix de société. Les pays scandinaves, comme la Suède ou la Norvège, sont des pionniers en la matière et pourtant eux aussi traversent une période économique délicate.
De plus, Monsieur le Président, les sanctions à l’encontre de ceux qui ne mettent pas aux normes les bâtiments ne sont pas assez dissuasives. En effet, de nombreuses personnes préfèrent payer les amendes plutôt que rendre les bâtiments accessibles.
Enfin, vous avez, à la suite des attentats contre Charlie Hebdo, rappelé, et ce à juste titre, que la France sait et a su lors des moments difficiles de son histoire, rester unie, « faire bloc » pour préserver les valeurs de la République. En effet, c’était un grand moment de solidarité que de voir un peuple se réunir au nom de la liberté d’expression. C’est même dans ces rares moments que l’on peut constater que la France, malgré les inégalités sociales, sait tous nous rassembler. Or Monsieur le Président, force est de constater qu’à moins d’un mois de la ratification du Parlement, la question de l’accessibilité est absente des médias : pas une seule fois elle n’a été évoquée jusqu’à présent, par quelque média que ce soit. Il en aurait été probablement été autrement si le débat politique s’était saisi de cette question citoyenne.
Ce que je veux vous dire est finalement assez simple : il n’y a pas deux poids et deux mesures dans le domaine des droits fondamentaux. On ne peut pas d’un côté appeler au rassemblement pour la liberté d’expression et de l’autre délaisser totalement la question de la liberté d’aller et venir car c’est exactement de cela qu’il s’agit. Une société accessible pour nous Monsieur le Président, c’est une société nous permettant d’exercer cette liberté fondamentale.
C’est pour toutes ces raisons Monsieur le Président, que je vous demande de retirer à la ratification du Parlement l’ordonnance du 26 septembre 2014 sur l’accessibilité telle qu’elle est rédigée, pour que le gouvernement propose un nouveau texte qui, je l’espère, ne remettra pas à dans dix ans une question aussi fondamentale afin que nous, les personnes à mobilité réduite, puissions enfin vivre comme le reste de la société.
Je vous remercie du temps que vous consacrerez à la lecture de cette lettre.
En attendant une réponse personnelle de votre part, je vous prie Monsieur le Président, d’agréer l’expression de mon profond respect.
Nathan BASUYAU